by Laurent • 20 April 2004 • Non classé
Résonnance 3: Ugo
Des listes, des listes, faites des listes ! Il en a de bonnes le Laurent… Alors qu’on s’évertue en général à éviter les énumérations ennuyeuses… Ceci dit, Xavier a contourné brillamment le problème, lui, en faisant les courses. Mais, bon, je ne suis pas Lord Kraven, ni même Lord Karrouf, et comme il n’y a rien que je ne ferai pour ma “famille SF”, me voilà avec mes listes ! Comme dans une anthologie thématique, je ne contourne pas le sujet, j’y colle (c’est toujours comme ça avec moi, je reste aussi proche que possible de la “source”, sans doute un réflexe d’historien : coller aux faits, c’est la meilleure manière de réussir un commentaire de texte) Attention, ce qui suit est totalement spontané, en vrac, mais j’espère bien que ça me vaudra une nomination pour le Queyssi 2004. Si c’est le cas, j’apporte l’Armagnac 😉 Au fait, mes amitiés à “celui qui n’est pas Mary Higgins Clark”. On y va ?
1) J’aime… écrire (et travailler) en musique. Mieux encore, je ne peux quasiment pas écrire sans musique. C’est peut-être parce que j’ai un grand-père chef d’orchestre, un oncle compositeur, je ne sais pas… Le fait est que la musique, voyez-vous, me galvanise, m’inspire, me libère, m’ouvre l’esprit et le coeur, me permet de larguer les amarres, de m’éloigner des rivages du doute et des hauts-fonds de la lâcheté, tels que : “je n’y arriverai pas” ou “je ferai ça demain”. Tiens, là, par exemple, devinez ce que j’écoute en ce moment précis ? Mars Hotel, si, si. D’ailleurs, je vous tiendrai au courant de tout ce que je vais écouter jusqu’à ce que je termine cette “résonance”, d’accord ? Donc, là, pour l’instant, c’est “Alone and Clear”, l’une de mes préférées. Donc, je ne crée jamais en silence. Et mes choix sont assez éclectiques, je vous laisse le soin d’en juger : pour un cours d’histoire du droit, ça peut être Prokofiev, Chopin, Beethoven, Liszt, Armstrong, Gershwin, Phil Collins, Fleetwood Mac, etc. Pour une nouvelle/novella/roman, c’est très souvent des bandes originales de film, donc des compositeurs comme Howard Shore, Kenji Kawai, Ennio Morricone, Hans Zimmer, Randy Edelman, John Williams, Basil Poledouris, etc. Et parfois, c’est encore plein d’autres trucs, de Brassens à Daho, en passant par Bowie et Dassin. Avec une mention spéciale pour Springsteen et Clapton. Il y a de tout. Comme j’ai de la place sur mon disque dur, sur lequel, il n’y a rien d’autre ou presque, que des fichiers word et quelques images (voir la raison ci-dessous), j’ai copié tous mes albums CD dans la machine, afin de ne pas devoir aller les chercher à chaque fois. Du matin au soir, c’est la valse des mp3. La musique est, pour moi, consubstantielle à l’écriture. J’utilise délibérément des supports auditifs pour créer des ambiances sur lesquelles s’appuie mon imaginaire. C’est une méthode, au même titre que les horaires précis ou autres rituels d’auteurs lents au démarrage. Comme dit le King, “le moment le plus dur, c’est quand on s’y met ; après les choses ne peuvent que s’améliorer”. La musique m’aide à décoller. Après, pour m’arrêter… c’est une autre histoire !
2) Je n’aime pas… les jeux vidéo. Les trucs sur quinze CD avec de la 3D partout, des “accelerator” et autres conneries. Je déteste ça, en fait. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, attention. Surtout que certains univers ludiques imaginaires sont très recherchés, très subtils, voire poétiques. J’en ai vu un récemment, très lent, presque contemplatif, qui se passe dans un monde crépusculaire, vaguement wagnérien. Il faut délivrer une jeune fille diaphane, pâle, fragile, qu’il faut ensuite protéger des ombres omniprésentes. Je ne l’achèterai pas. Il n’y a rien à faire : mettez-moi devant un jeu vidéo, qu’il s’agisse d’un jeu de rôles (pourtant j’en ai fait des tas de jeux de rôles, enfin des vrais, où tout se passe dans la tête), d’un jeu de stratégie, d’un de ces pathétiques “shoot them all” (vous savez, ces jeux où l’on ne voit du personnage que le bout du fusil, symbole phallique dérisoire, genre Serious Sam, même si j’aime bien les décors vaguement égyptiens : plus le flingue est gros, plus les méchants crient fort, mon dieu…) ou d’un jeu de simulation, même “Age of Empires”, pourtant magnifiquement conçu, et bien je m’ennuie au bout d’un quart d’heure. Je n’ai jamais fini un seul jeu. Je me suis toujours lassé avant. Le seul que j’ai failli terminer c’était une adaptation de “RAMA” d’Arthur Clarke. Bref, mes copains jouent pas mal, sur PS2, sur GameCube, sur d’autres consoles, ou en réseau. Moi, ça m’emmerde un point c’est tout (Tiens, là j’écoute la B.O. d’Intelligence Artificielle, un film contemplatif, un texte intelligent, une parabole sur Pinocchio, non exempte de défauts, mais intéressante). Lorsque je joue, par miracle, c’est cinq minutes, pour faire plaisir. Par politesse. Je me souviens, en creusant profondément, d’une partie hilarante de MicroMachines sur PS1. Alors, la conséquence, c’est que bien que je dispose d’un processeur ultra-rapide, d’une carte video “accelerator3Dtamèresurquake”, je ne me sers de ma machine que pour écrire et faire mes cours. Oui, je sais, ça va en énerver plus d’un, mais c’est comme ça. Et puis, ma connexion ADSL haut débit, pareil, elle ne me sert qu’à surfer tranquillement ou à écouter la radio en ligne. Na. J’assume.
3) J’aime (que, dis-je, j’adore)… les bouquinistes, je pourrai y passer des heures, voire des journées entières. Rien que dans mon quartier, il y a en a cinq, très divers. Je ne me lasse jamais de fouiller dans les piles de livres, tantôt bien rangées par ordre alphabétique ou par thème, tantôt en équilibre instable et éparpillées dans un improbable capharnaüm de papier et de savoir. Il y en a un comme ça, “Le Pittoresque” qui ressemble à s’y méprendre à une caverne creusée par des livres rebelles ayant échappé à l’empire des hommes et ayant inventé une société livresque libertaire et égalitaire. Pierre Grimal y côtoie le Général Dourakine, Jean Tulard y joue au poker avec Tim Powers, A. E. Van Vogt y rencontre les amis de Platini, et il y a même du Jimmy Guieu à quelques couvertures de Boris Vian, c’est dire ! On dirait, pour ceux qui ont des bulles, la caverne des dossiers non-classés (ou en retard) que se constitue Gaston Lagaffe dans un des albums de Franquin (ne me demandez pas lequel). J’adore cet endroit et j’y ai déjà trouvé de véritables petits trésors. Ainsi, les cours de Marc Bloch sur “Seigneurie française et Manoir anglais”, sublimes à mes yeux. Ainsi, une vieille édition de “La civilisation romaine” de Grimal, etc. De façon connexe, j’aime bien la BD aussi, même si j’en achète très peu, le plus souvent chez les bouquinistes justement. Les BD, je préfère qu’on me les offre, en général 🙂 Il y a toujours un ami qui y pense, n’est-ce pas Raphaël ? N’est-ce pas André ? Parce que tout mon argent (enfin, celui que ma chère et tendre me laisse dépenser) part dans les bouquins, qu’ils soient d’histoire ou de science-fiction. Récemment, la BD qui m’a le plus marqué, c’est SILLAGE de Morvan et Buchet qui, sur le long terme (j’ai déjà découvert les cinq premiers tomes) s’avère ambitieuse et très maîtrisée. Ma préférence va, sans hésitation, aux volumes 3 et 5, volontiers sociologiques et très politiques. Les auteurs savent éviter les clichés et la plupart des raccourcis dont souffrent beaucoup d’oeuvres lorsqu’elles abordent les questions de la diversité culturelle et/ou du terrorisme politique. SILLAGE est une vraie découverte qui, par certains côté, m’évoque parfois le cycle de la Culture de Banks (c’est un sacré compliment, notez). J’espère que Laurent n’est pas en train de hurler à la lecture de ces lignes, lui qui a une “vraie” culture en la matière.
4) Je n’aime pas les (jeunes) auteurs qui s’y croient, mais j’adore les (jeunes) auteurs qui y croient. Vous percevez la différence ? Non ? Je vous l’explique… J’aime les auteurs qui y croient, d’abord parce que j’en suis un, ensuite parce qu’ils écrivent avec le coeur, la passion, et enfin parce qu’ils ont la conscience, comme le rappelait Laurent il y a quelques jours sur ce blog, de tout ce qui a été fait de bon, d’excellent avant eux. Ils perçoivent les chefs-d’oeuvres à la proue desquels ils avancent vers de nouveaux horizons. Souvent ils jonglent avec un moment, font leurs gammes, avant de prendre leur véritable envol. Nous sommes là parce que d’autres avant nous ont fait vivre la SF et lui ont donné ses lettres de noblesse. Nous sommes là pour leur faire honneur, avant de tenter de les dépasser. Persévérance et arrogance s’accordent mal. Donc, vous l’aurez compris, je n’aime pas les (jeunes) auteurs qui s’y croient. Ceux qui pensent que le passé c’est de la merde, que les oeuvres ont vieilli, que les anciens sont illisibles, qu’il faut faire “table rase” afin d’avancer librement. Ceux-là me navrent, m’attristent, mais surtout m’emmerdent profondément. Attention, je ne veux pas être mal compris : je ne fais pas l’éloge du passé, ce qui serait une attitude tout aussi stérile que de l’ignorer superbement. Je dis qu’il faut savoir d’où l’on vient pour atteindre le but auquel on aspire. Je souviens d’un sujet de dissertation de philo : “un peuple sans mémoire peut-il être libre ?”. Non, bien entendu, car il serait condamné à refaire sans cesse les mêmes erreurs, réinventer sans cesse les mêmes choses. D’un autre côté, une mémoire totale serait sans doute paralysante, empêchant la prise de risque nécessaire à l’évolution. Donc, la mémoire de la SF est un propulseur. Ceux qui ne savent pas s’en servir, à mon avis, font beaucoup de bruit, mais ne vont pas bien loin. Les autres prennent le plus long chemin, le plus difficile, mais c’est le bon chemin, pavé d’efforts, entouré de champs à moissonner, mais montant doucement vers la lumière… Comme le boulevard Alpha Ralpha de Cordwainer Smith (dont la réédition en Folio SF est la meilleure nouvelle de l’année, vive Sébastien Guillot), qui fait le lien entre le passé et l’avenir (je me permets de citer, une fois de plus, l’ouverture la plus poétique de toute l’histoire de la SF : “Nous étions ivres de bonheur dans ces premières années. Tous et particulièrement les jeunes. Les premières années de la Redécouverte de l’Homme, lorsque l’Instrumentalité plongeait loin dans le trésor, reconstituant les anciennes cultures, les anciens idiomes, et même les anciens maux. Le cauchemar de la perfection avait poussé nos ancêtres au bord du suicide (…) les civilisations anciennes se levaient comme de grands continents de l’océan du passé. Je fus moi-même le premier, après quatorze mille ans, à coller un timbre sur une lettre. Je conduisis Virginie au premier récital de piano (…)”. Voilà notre but en tant qu’auteurs, même si la machine à l’Abba-Dingo est peut-être un leurre : inventer, au sens juridique du terme, c’est-à-dire, découvrir de nouvelles formes qui feront le lien avec le passé, et non pas rechercher une perfection stérile. Trouver de nouveaux paradigmes, car nous vivons dans un monde différent, et essayer de les exprimer aussi bien que Smith, Silverberg, Dick ou Ellison l’ont fait en leur temps.