La mythologie de notre temps

Dire que j’avais été bluffé par King of Kong, le documentaire sur les joueurs de Donkey Kong et de Pac Man est un euphémisme. J’ai écrit peu après une nouvelle qui a donné son titre à un recueil et je ne me suis toujours pas vraiment remis de la notion de kill screen et de ce qu’elle implique. Ca touche quelque chose en moi qui va au-delà de la fascination, de l’émerveillement. Un sentiment qui a trait à l’enfance, probablement, et à ce que mon présent de gamin promettait de l’avenir.
Le personnage principal de King of Kong était assez antipathique. Billy Mitchell est un mégalo assoiffé de reconnaissance qui n’hésite pas à toutes les bassesses pour conserver son titre de champion du monde de Donkey Kong.
Le personnage principal de Ecstasy of Order, lui, est d’un tout autre type. Thor Aackerlund fut un enfant star, le champion du monde des jeux nintendo à 13 ans. Puis il a un peu disparu de la circulation. Et parmi les champions de Tetris, il est resté une figure légendaire. Le meilleur joueur de l’histoire. Celui qui prétendait qu’il avait atteint le fameux niveau 30 de Tetris, exploit que les cadors jugent improbables.
Lorsqu’un de ses anciens dauphins de 1990 décide d’organiser le championnat du monde de Tetris pour enfin savoir qui est le meilleur joueur de tous les temps, les participants sont sceptiques. Thor viendra-t-il ? A-t-il toujours le niveau ?
De ce scénario à la Sugarman, le documentaire ne tire pas une histoire larmoyante ou donneuse de leçon. On suit juste les préparatifs de chacun puis la compétition. Et contrairement à King of Kong, il n’y a pas ici de coups bas. Les joueurs de Tetris se respectent, s’admirent même parfois. Ils ont du recul et ne cherchent pas à dominer quoi que ce soit.
Je n’en dis pas plus pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui vont regarder le film, mais le déroulement du documentaire (sans doute moins truqué que Sugarman) est digne des meilleures fictions. Et ce que fait Thor, redevenu un héros au sens homérique du terme, est un véritable exploit.
Elle est là, la mythologie de notre temps. Dans ces enfants qui ont grandi avec des outils nouveaux, qui excellent à un point qui en fait de véritables surhumains (tout le monde a joué à Tetris, personne n’est capable de faire ce qu’ils font) et qui me fascine véritablement par son mélange d’humanité et de grandeur.