Californie : jour 1

Je suis plutôt du genre stressé. Très stressé.
La perspective d’un voyage de deux semaines en Californie, pour moi, c’est l’équivalent, pour un gars normal, d’une traversée de la Manche à la nage par un unijambiste ou de l’ascension de l’Everest par un aveugle: l’exploit d’une vie. Enfin, c’est ce qu’on croit avant, parce qu’une fois lancé, ça roule et la performance se transforme en une descente apaisée d’une rivière tranquille. On profite en se laissant entraîner par le courant.

Mais avant de partir, d’arriver à destination et de me rendre compte qu’en définitive, tout roule, je suis dans tous mes états. Il faut dire que je mène une existence calme, monotone, rythmée par les diverses deadlines et les allers-retours à l’école, chez la nounou ou à l’atelier. En dehors de ces sorties, je reste, globalement, collé le cul sur un chaise devant mon clavier d’ordi bien plus de temps que je ne devrais. Le glamour du quotidien de l’auteur/traducteur.
J’ai déjà voyagé, certes, mais j’étais plus jeune, plus insouciant et il ne s’agissait pas d’un road-trip comme celui prévu en Californie. J’y pars à la recherche de mon passé et de mon avenir, sur les traces de Philip K. Dick, d’Henry Miller, de Thomas Pynchon, de Brian Wilson, de Rivers Cuomo, à la rencontre de ces amis de papier et de son, mais aussi de ces vrais amis qui vivent là-bas, dans la Californie d’aujourd’hui et pas celle de mes fantasmes.
Stressé, disais-je. Alors, j’ai préparé. Analysé. Organisé. Tout n’est pas calé, mais l’essentiel est là. Les hébergements à San Francisco et Los Angeles, la voiture de location, les rendez-vous avec les copains et les endroits emblématiques à visiter. Evidemment, rien ne va se passer comme prévu. Mais tout se passera tout de même bien. Un vrai voyage, quoi.

Première (et dernière frayeur) le jour du départ. Problème au guichet d’Air France.
– Je ne trouve pas votre réservation, madame. Celle de monsieur, oui, mais pas la vôtre.
Merde. Ma brune va devoir traverser à la rame.
– Ah, non, en fait, il y a eu une erreur. Le nom et le prénom sont inversés. Mais ça a l’air de passer.

Bon, c’est moi qui ait réservé les billets d’avions et j’ai merdé. Comment ai-je pu commettre une erreur aussi bête ? Et si j’en avais fait d’autre ? Si je m’étais trompé dans la réservation de l’hôtel ? Ou de la voiture ?
Avant d’embarquer dans l’avion, dernier contrôle des cartes d’embarquement.
– Oh, je ne sais pas si ça va passer, ça, nous dit une hôtesse au sol avec une moue inquiète. Les Américains ne plaisantent pas avec ça.

Nous partons donc sans savoir si nous pourrons entrer sur le territoire américain. Pour couronner le tout, nous ne sommes pas assis à côté, mais l’un devant l’autre. Et les écrans de télé de notre partie de l’appareil ne fonctionnent pas.
Tout va bien. Excellent départ. Je ne stresse pas du tout, moi qui suis d’un naturel calme et détendu.

Ma brune, elle fait des photos de l’Arctique.

Nous nous sommes levés à deux heures du matin pour prendre l’avion très tôt et lorsque nous arrivons, presque vingt heures plus tard, je n’ai guère dormi du trajet. La queue à la douane américaine me fait penser à Ellis Island. Je ne dis rien à ma brune, mais je repense à l’histoire que m’avait un jour raconté mon grand-père italien. A l’époque où lui était venu vivre en France, une partie de la famille avait tenté l’installation aux Etats-Unis. Mais deux de ses cousins n’avaient jamais pu mettre un pied sur le sol américain et avaient été refoulés (j’ignore pourquoi) à Ellis Island. Ils avaient dû faire le voyage retour sur le même bateau et s’étaient finalement installés dans le Lot-et-Garonne.
Finalement, notre ESTA, l’autorisation d’entrée sur le territoire est réglo et les douaniers n’ont vraiment rien à foutre que je me sois gouré dans le nom et le prénom. Je respire.
Nous sortons de l’aéroport de San Francisco et prenons un van qui doit nous conduire à notre hôtel, dans le quartier chicos de la marina. Nous traversons donc la ville depuis le sud et découvrons le contraste permanent de cette cité (et de tout l’état, en réalité) entre la misère et l’opulence, entre ces SDF par centaines et ces riches habitants qui vivent dans des maisons à deux millions de dollars. Notre chauffeur nous fait même une descente à la Bullitt. Nous sommes immédiatement dans l’ambiance.

Une fois posés à l’Hôtel del Sol, nous décidons, pour ne pas laisser le décalage horaire avoir le dessus, de ne pas dormir tout de suite. Il est 15h et même si nous mourons de fatigue, nous partons nous promener. Il fait gris, et la ville ne semble faite que de rues aux pentes improbables, mais nous prenons le poul du quartier, un samedi après-midi. Résidentiel, riche voire très riche avec de très belles maisons et d’un calme étonnant.

Une vielle dame qui doit faire sa promenade de l’après-midi, s’adresse à nous. Elle nous a entendu parler français et elle vient nous assurer des liens qui lient son pays au nôtre: son grand-père a combattu en France durant la Première Guerre mondiale. Elle nous fait visiter son quartier, nous indique un point de vue sur Alcatraz et nous montre la maison de Danielle Steel, derrière sa grosse haie.

Ca rapporte, en fait, d’écrire.

Après une longue ballade, on se pose dans un restau de burger qui nous semble cool. Une télé diffuse un match de base-ball (San Francisco contre Los Angeles) et je goûte enfin à la root beer, ce soda au goût de sapin trop sucré. Pas très bon, mais exactement comme je l’imaginais en lisant Stephen King. Le burger est excellent et l’ambiance parfaite. Cette fois, nous y sommes. Je parcours le journal culturel gratuit de San Francisco. On y parle surtout de weed.

Nous déambulons encore une peu puis nous rentrons à l’hôtel bloquer devant la télé américaine, affreux mélange de pubs, de pubs, de pubs, de pubs, ah tiens, un film recadré, et de pubs.

Je pars à la recherche d’une pharmacy (il y a toujours une petite partie alimentation dans les pharmacies) pour acheter de l’eau et découvre, entre le magasin Apple de la rue super bourgeoise et le Walgreens, un SDF qui fume du crack assis sur une devanture de porte. Le contraste est là, bien visible, choquant. Il restera présent pendant les deux semaines sans que jamais, confronté à la réalité de l’ampleur du phénomène, je n’arrive véritablement à croire que ce soit possible. Ca l’est pourtant bel et bien et c’est sans doute ce que je retiendrai de ce séjour aux Etats-Unis, l’idée que ce pays possède en lui, de façon intrinséque et concomitante, le pire et le meilleur. Que l’on peut tomber amoureux de ses meilleurs aspects et être dégoûtés par ses pires côtés. Là où la France me fait plutôt l’effet d’une sorte de pays médian, moyen, finalement parfaitement représenté par son médiocre chef de l’Etat.

Avachi sur le lit, je parviendrai à tenir devant le premier épisode de la saison 2 de Fear the walking dead, à peu près dans le même état que les zombies sur l’écran, avant de m’endormir.