by Laurent • 11 November 2007 • Non classé
La vraie vie est une chose qui suinte
Contrairement à pas mal d’auteurs de ma génération, qu’ils oeuvrent dans le roman, la bédé ou que sais-je encore, je n’ai pas été formé par les jeux de rôles. J’ai bien fait quelques parties, mais je n’ai jamais appartenu à ce monde. Ma « formation » s’est faite ailleurs : dans les pages de vieux Métal Hurlant, dans des Spécial Strange consommés en fast-read et échangés aussitôt dans une bouquinerie, et puis aussi dans d’innombrables romans de SF.
Lorsque j’ai commencé à m’intéresser aux auteurs français du genre, la tête de proue s’appelait Serge Lehman. Un type qui écrivait, concoctait des anthos et clamait haut et fort, à l’approche de l’an 2000, son amour et son respect pour le genre. On le voyait même à la télé, c’est dire. Je trouvais son boulot passionnant, son activisme réjouissant et son attitude vantarde, mais saine. Je sais, pour en avoir parlé avec eux, que pas mal d’auteurs de SF qui ont à peu près mon âge partagent mon opinion (ils se reconnaîtront).
Après quelques années d’éclipse, Lehman revient et cette fois, il investit le champ de la bande dessinée.
Secondé par le talentueux dessinateur Jean-Marie Michaud, son album La Saison de la coulœuvre, est une formidable réussite. Premier volume d’une série, le livre se décompose en trois chapitres de 23 pages : la traduction aux US est déjà pensée, semble-t-il…
Inutile de décrire ou de résumer l’histoire, non seulement ce serait comme gâcher une partie du plaisir, mais en plus je m’y prends habituellement comme un manche.
Sachez simplement que l’on retrouve un background solide, le classique personnage point de vue qui permet au lecteur de découvrir le lieu du récit (l’intersection 55) et une intrigue qui utilise pleinement les possibilités du médium. Lehman n’est pas du genre à transposer une histoire et il ne s’agit pas là d’une nouvelle ou d’un roman adaptés en bédé. L’auteur se sert des spécificités du neuvième art : la couleur, le découpage, les décors en pleine pages, tout est pensé pour que le récit se confonde avec l’objet qui le porte.
Lehman connaît bien l’œuvre d’Alan Moore et même s’il utilise certains tics du barbu de Northampton (je ne parle même pas ici du serpent final), on reconnaît tout de même sa patte. Ses obsessions sont là, son histoire du futur aussi et même si une case typiquement Morrisonnienne s’introduit au cœur de l’album, on ne peut accuser Lehman tant sa propre recherche croise parfois les questionnements de l’écossais. Le Picte est là et il y aurait une étude à faire sur ses rapports avec la figure sacrée du lecteur ou de l’auteur (appelons-la comme ça faute de mieux) chez Grant Morrison.
Niveau graphique, Michaud joue l’aquarelle avec grand talent et même s’il rappelle parfois l’époque Métal, ses influences n’engloutissent jamais l’originalité qu’il déploie dans les décors et les costumes. Certes, certains couvre-chefs font beaucoup penser à du Moebius, mais comment évacuer une telle figure tutélaire lorsqu’on fait de la SF de ce genre en France.
La Saison de la coulœuvre repousse la frontière des possibles de Lehman et étend son champ d’action.
Je reste un lecteur prêt à le suivre où qu’il aille.