by Laurent • 11 December 2004 • Non classé
Il subsiste un malentendu énorme sur Robert E. Howard et son plus célèbre personnage, Conan le barbare ; méprise entretenue par le traitement qu’ont fait subir à l’auteur et à sa création ses suiveurs (qui ont cherché à tout prix à créer une « biographie » au héros) et dont le paroxysme est certainement le film de John Milius qui loupe complètement sa cible en faisant jouer à Schwarzenegger un barbare quasi-moyennageux et en évacuant ce qui fait la plus grande qualité des textes originaux : le merveilleux.
Le même sort est réservé à Robert E. Howard, écrivain Texan, mort en 1936 à l’âge de 30 ans, et dont une légende tenace veut faire un reclus quasi-autiste seulement obsédé par ses personnages. L’introduction du premier volume de L’Anthologie Conan (dessiné par John Buscema) et éditée chez Soleil est, en ce sens, un parfait exemple du genre d’erreurs et d’idées fausses qui circulent à son propos.
Conan et son créateur semblent donc incompris, mais contrairement aux autres adaptations, la bande dessinée vise plutôt juste dans sa façon d’appréhender le personnage. On retrouve les aventures débridées de ce protagoniste plus complexe que l’on peut le penser dans L’Intégrale Conan, éditée, elle aussi, chez Soleil, et reprenant la série américaine Conan The Barbarian de 1971, la première à avoir traité le personnage en BD. Le tome 1 n’a pas repris la préface d’origine de l’édition américaine où l’on apprenait les circonstances de la création de cette adaptation. On nous y expliquait que John Buscema, d’abord pressenti, se révéla trop cher pour une série dont le succès était loin d’être garanti, et c’est ainsi que Barry Smith, un jeune anglais, débarqua sur le personnage. On sait maintenant, que vu le succès de la bande, une deuxième série fut créée, format magazine et en noir et blanc, intitulée Savage Sword of Conan et dessinée par John Buscema (c’est celle que l’on retrouve dans l’Anthologie).
Le trait de Smith est encore influencé par Jack Kirby lorsqu’il débute sur la série, mais on peut voir, notamment au fil des épisodes de ce volume 2, son trait s’affiner, devenir plus personnel, et on peut surtout apprécier la façon dont son découpage ne cesse de chercher des nouveaux moyens de lui permettre de raconter ses histoires. Conan The Barbarian utilise bien le potentiel du personnage et parvient à rendre une partie de la magie des textes originaux du grand Howard. Roy Thomas s’inspire parfois de nouvelles du romancier, qu’il adapte et qui ne sont pas toujours à la base des textes concernant Conan. Ainsi, The Garden of Fear, l’épisode qui ouvre le recueil, est tiré d’une aventure de James Allison et adapté à Conan par le scénariste.
Plus de trente ans après, le plaisir reste intact et pouvoir admirer à nouveau ce qui fut l’éclosion du talent de Smith est merveilleux. La dernière histoire du recueil, The Frost Giant’s Daughter est un chef-d’œuvre de narration et l’éclat des planches de Smith y est presque magique. On pourra s’amuser à comparer avec l’adaptation qu’on fait de la même nouvelle Kurt Busiek et Cary Nord dans la nouvelle série Conan éditée par Dark Horse et traduite en France chez Soleil. On se rendra ainsi compte de la façon dont les modes et le rythme de narration ont changés en trente ans.
Malgré des défauts au niveau du contenu éditorial, le travail des éditions Soleil pour la traduction de Conan (saluons la bonne adaptation de Cédric Perdereau) en bande dessinée est plutôt bon et permet de découvrir une version du personnage plus proche du barbare de Howard que celle d’Hollywood. Espérons que le malentendu se dissipera un jour complètement…