• Genèse: L’autre Herbier d’Amandine et Nicolas Labarre

    by  • 16 November 2015 • Genèse • 0 Comments

    L’autre Herbier est un livre illustré pour adolescents dont Nicolas Labarre, l’auteur du texte, nous détaille les contraintes de la création. Une belle réflexion sur le travail d’écriture, le genre et le jeu avec les clichés. Rien d’étonnant pour qui connait le travail universitaire, à la fois pointu et passionnant, de Nicolas (qui dessine aussi).

    Nicolas Labarre:

    L’autre herbier est un projet de livre à contraintes : contraintes de forme, de longueur, de genre, de lectorat, jusque dans les détails du récit. Le projet des Moutons Electriques était de faire un livre illustré pour jeunes adultes, qui mettrait en valeur les dessins d’Amandine, ma sœur. Nous avions déjà réalisé ensemble trois petits livres pour enfants et une bande dessinée, plus une multitude de projets avortés ou qui n’étaient pas destinés à la publication. Elle a donc proposé que j’écrive le texte de celui-ci. Quand je suis arrivé, le projet n’existait pas, au sens où rien n’avait été dessiné ou écrit, mais il avait déjà une forme bien définie, dans laquelle j’avais pour mission de me couler, même si évidemment, tous ces paramètres ont depuis changé les uns après les autres.
    Dans cette commande, le paramètre que je comprenais mal était la notion de roman « young adult ». Aux Etats-Unis, je voyais bien à quelle catégorie éditoriale cela correspondait – Little Brother (Doctorow), Twilight et Hunger Games en gros – mais en France, je n’étais pas sûr qu’il y ait des équivalents directs. Après avoir passé un peu de temps à suivre les conseils de bibliothécaires et à fouiller dans les librairies, je me suis décidé à comprendre « jeune adulte » comme un synonyme de « grand enfant » : un lecteur intelligent, pas forcément rompu aux codes génériques, à qui on offre un récit un peu initiatique et des personnages permettant un peu d’identification. Je pensais à des pages de Joan Sfar dans ses Carnets, qui écrit beaucoup sur l’idée qu’en refusant toute condescendance face à un lecteur enfant, on peut aussi parler à des adolescents et des adultes.
    L’écriture proprement dite a commencé par un échange avec Amandine pour savoir ce qu’elle avait envie de dessiner. Si talentueuse qu’elle soit, elle ne tient pas à s’aventurer du côté des environnements urbains par exemple. Comme sur toutes nos collaborations précédentes, nous sommes partis d’images clé autour desquelles structurer le récit. La première liste élaborée en commun ressemblait à ceci :

    • Un petit jardin au cœur de la forêt cultivé avec amour par l’héroïne
    • Avec des plantes un peu étranges qui apparaissent
    • Une faune/des créatures discrètes qu’on pourrait répertorier à la fin de l’ouvrage
    • Un bord de rivière (plus joli qu’un étang)
    • Déguisement/masque
    • guide d’identification des papillons
    • chimères
    • un objet portail/mode d’accès
    • des statues dans un étang, visibles à certaines heures seulement
    • des répétitions d’un spectacle enfantin qui se transforment en répétition d’un mot “magique”
    • un domaine familial ancestral, mais fragmenté, découpé. Tout porte le nom de l’héroïne, mais elle n’est jamais venue
    Tout ne se trouve pas dans la version finale, et le « guide d’identification des papillons » s’est notamment dédoublé pour devenir une flore d’une part et l’herbier qui donne son nom au livre de l’autre. Le roman s’est malgré tout construit autour de cette liste, et d’autres échanges similaires. Il fallait trouver comment organiser tout cela, tresser les éléments en connaissant d’emblée les détails qui allaient structurer des scènes ultérieures. Le spectacle enfantin est devenu le déclencheur qui fait de la rivière une sorte de portail, par exemple.
    La dépendance du texte aux images a pris un tour encore plus direct quand Amandine a produit une illustration pleine page d’un des passages du récit, à titre de démonstration, alors que le roman était entre la phase de synopsis et celle de l’écriture proprement dite. Un des débuts de chapitres est directement basé sur cette illustration, à laquelle le récit se raccroche à la fois pour la construction du monde et pour les interactions suggérées.
    Toutes ces contraintes étant posées, il fallait malgré tout construire une histoire. Je ne suis pas un grand amateur de mondes fantastiques complets, dans lesquels on devine l’existence d’un bestiaire, de cartes, de règles bien établies, de codex. D’ailleurs, ce récit-là est plein de cartes inexactes, d’erreurs de repérages, de lieux qui se superposent et qui ne devraient pas pouvoir coexister. Je crois à la cohérence de l’univers fictionnel bien sûr, mais en tant que lecteur, je suis prêt à faire l’effort d’y adhérer avec une grande tolérance, pour peu que le récit ne me mette pas sous les yeux des problèmes de logique interne trop évidents. Mon lecteur idéal allait faire de même. Partant de là, il était possible de tirer les choses vers le monumental sans trop de scrupule, en faisant en sorte que l’effet de merveilleux repose largement sur des changements d’échelle évacuant les problèmes de gravité ou d’écosystème, sur la découverte de l’immensité proprement merveilleuse. De façon assez classique, la structure du récit allait être celle d’un voyage et d’un retour difficile, et je voulais que ce trajet, plus que ses péripéties, retienne l’attention.
    Je n’étais pas certain initialement de savoir à quoi devaient ressembler ces péripéties. Il y aurait de l’aventure, des épreuves, mais je voulais m’assurer de ne pas plaquer des structures un peu artificielles. Le point de repère en la matière venait d’un article du New Stateman paru à l’été 2013, intitulé « I hate Strong Female Characters » dans lequel Sophia McDougall expliquait sa découverte du nouveau stéréotype du personnage féminin ultra-compétent et capable de violence :
    I remember watching Shrek with my mother.
    “The Princess knew kung-fu! That was nice,” I said. And yet I had a vague sense of unease, a sense that I was saying it because it was what I was supposed to say.
    She rolled her eyes. “All the princesses know kung-fu now.” (lien)

    A chaque nouvelle péripétie du récit, je me répétais simplement que ma princesse ne connaîtrait pas le kung fu. Je voulais qu’elle soit un peu maladroite, un peu perdue, mais qu’elle affronte les difficultés en parlant, en observant, en comprenant et parfois aussi, en bonne héroïne, en refusant simplement de se laisser décourager. Ma fille aînée, qui avait sept ans et qui en a neuf, était ma lectrice idéale et le modèle de l’héroïne. Je voulais être certain qu’elle puisse se reconnaître. A son tour, ce choix a fait évoluer l’histoire, en débouchant sur la création d’un compagnon semi-permanent pour Valentine, l’héroïne. Il fallait qu’elle puisse parler, se confier, compter sur du soutien et en apporter à son tour.
    Rétrospectivement, tous les choix d’organisation du roman ne sont pas parfaits. En lisant les remarques de la romancière Sally Nicholls sur la mauvaise habitude qu’ont les auteurs pour enfants de se débarrasser des parents dans le premier acte, j’ai réalisé à quel point j’avais repris un cliché (le lien). Je ne suis pas certain que je serais parvenu à faire exister plus de personnages humains dans le cadre choisi, mais il était sans doute possible de les faire exister un peu plus, de les caricaturer un peu moins. Et puis, il aurait peut-être fallu au fil de l’histoire un tout petit peu plus de kung fu, malgré tout, un peu plus de rebondissements à la place de certains moments contemplatifs dans le dernier acte. Malgré tout, je crois que le voyage fonctionne. Je n’ai pas choisi la référence à Miyazaki qui figure en quatrième de couverture, mais s’il peut évoquer, ne serait-ce que furtivement, la grande héroïne de Mon voisin Totoro, les créatures du Voyage de Chihiro et la forêt de Princesse Mononoke, ce livre a toute sa raison d’être.

    L’Autre Herbier sur le site de son éditeur, les Moutons électriques.

    Dans Genèse, un écrivain revient sur la création de son dernier livre. Auteurs, éditeurs, pour participer, vous pouvez me contacter: laurent@laurentqueyssi.fr

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