• by  • 13 August 2012 • Non classé

    Il parlait souvent des gens disparus qu’il avait aimé et qu’il n’oubliait pas. A plusieurs reprises, il m’avait raconté de fabuleuses épopées branques avec Jouanne. La dernière fois que je l’ai vu, à Genève, il avait longuement évoqué son pote Nono, de Brain Damage, dont la disparition, récente et subite, l’avait visiblement beaucoup atteint.
    Contrairement à pas mal d’autres, à en juger par les hommages qui se multiplient sur la toile, beaucoup de lecteurs de mon âge l’avait découvert via sa chronique dans Casus Belli. Je n’ai jamais été roliste et c’est avec La Balle du néant, chaudement recommandé dans un Cyberdreams par Francis Valery, que je l’ai lu pour la première fois. Il existait donc des auteurs français qui écrivaient de la SF qui me plaisait et qui jouaient dans des groupes de rock.

    La première fois que je l’ai rencontré, c’était en 1999 (ou 98?) à Nancy. Norman Spinrad, qui avait remarqué que j’étais tout seul, m’avait emmené à sa table. Je lui avais ensuite tourné autour comme il avait dû, des années auparavant, tourner autour de Michel Jeury. Le dernier jour, j’avais acheté un disque de Brain Damage, pour voir de quoi il retournait. On avait vite compris, tous les deux, que, même si nous aimions tous les deux le rock, ce n’était sans doute pas le même rock. On ne parlait pas souvent de musique, même si je pense qu’il en savait plus sur les groupes que j’écoutais que moi sur les siens. En revanche, quand j’avais une question sur la SF française, c’était vers lui que je me tournais.
    Je l’avais revu un peu plus tard à Lodève. Je me rappelle du trajet jusqu’au resto qui faisait office de cantine. Je lui avais dit que j’avais participé au concours de nouvelles organisé par la 85ème dimension de Jérôme Vincent et dont il faisait partie du jury. Il m’avait répondu: “Il était bien, ton texte.”
    Un de ces rares phrases qui changent la vie.

    Nous sommes devenus plus proches avec le temps. Il était venu pour la soirée de lancement de mon premier roman. Un occasion de faire la fête et de voir des amis, mais aussi de me montrer son soutien. Il savait l’importance de ces choses-là. Il avait passé une bonne partie de la soirée à discuter avec mes potes musiciens. C’était aussi son élément.

    J’ai plein d’images en tête, un tas de conversions passionnantes ou débiles, des soirées tardives, ce joint partagé chez lui en écoutant, vers 3 heures du mat’, un obscur groupe garage/psyché de je ne sais quel pays (j’avais fini par lui avouer que c’était quand même un peu chiant), ce repas chez moi où il avait raconté à ma brune l’histoire de minuscules sectes satanistes américaines, mais aussi tous ces bons passés en compagnie de ses livres.

    Il me reste de lui l’image d’un homme qui n’accordait aucune importance à ce que les autres pouvaient bien penser de lui (ou alors il le cachait) et qui, il me semble, a mené sa vie comme il l’entendait. Je l’admirais aussi pour ça.
    Je crois, malgré sa mort prématurée, qu’il avait réalisé quelques-uns de ses rêves. Peu d’êtres humains peuvent en dire autant.

    Par une ironie pourrie, alors que j’habite juste à côté de l’endroit où a eu lieu la cérémonie d’adieu, je me trouvais loin pendant que ses amis et sa famille se réunissait. Voir tous ces gens ensemble m’aurait sans doute fait chaud au coeur. Les voir sans lui aurait été difficile.
    Il va falloir s’habituer.

    Dans trente ou quarante ans, un de ces admirateurs, sans doute pas encore né, écrira une uchronie sur le modèle de son HPL, dans laquelle un certain RCW a vécu centenaire et a fini figure tutélaire d’un mouvement de rock psyché du troisième millénaire.

    Roland C. Wagner (1960-2012)

    About