• by  • 13 May 2002 • Non classé

    Paco Roca est un illustrateur espagnol qui a déjà travaillé avec Juan Miguel Aguilera, auteur de SF traduit aux éditions du Diable Vauvert, et dans des magazines érotiques. Avec cet album, Le Jeu lugubre, il signe une entrée fracassante à l’occasion sa première traduction en France.

    Dans l’Espagne de 1936, Jonas vient de trouver un emploi d’assistant pour un grand maître de la peinture. Il va se retrouver à Cadaqués et découvrir des personnalités hors du commun : le peintre Salvador Deseo, sa femme Galatée et la jeune villageoise Rose.

    La bande dessinée de Paco Roca est un objet à part. D’abord par son thème : l’évocation d’une partie de la vie de l’un des peintres les plus influents du 20° siècle dissimulé sous le nom de Salvador Deseo, mais sous le masque duquel tout lecteur censé n’aura aucune peine à reconnaître Dali. Ensuite, et en lien avec cette thématique, par un traitement graphique à la fois proche de la ligne claire et apparemment très influencé par Bruce Timm (créateur du design de la série animée Batman). Ainsi, avec un dessin n’ayant aucun lien avec le grand peintre surréaliste, Roca parvient à une évocation libre et passionnée d’un homme avec qui il entretient, semble-t-il, une relation paradoxale.

    En effet, en choisissant d’inscrire son œuvre dans une réalité transfigurée, l’auteur fait, à la fois, œuvre surréelle et œuvre sur le surréalisme. En posant un regard extérieur, par l’intermédiaire de son personnage principal, Jonas, il montre son amour pour le peintre et le pose en une figure géniale et démoniaque. C’est ce mélange qui fait le vrai sel d’une œuvre qui n’est ni hagiographique, ni fondée seulement sur la personnalité de Dali. Roca créé une bande dessinée qui puise dans son sujet, le surréalisme en peinture, mais aussi dans d’autres arts (le cinéma, par exemple, avec la référence explicite au Chien Andalou de Bunuel).

    Tout, dans l’exécution de cette œuvre, semble parfait. Justesse des cadrages, finesse du graphisme, limpidité du scénario, magnifique utilisation des ombres et des couleurs. Paco Roca surprend.

    En faisant précéder son récit d’une introduction prétexte, Roca s’inscrit dans la tradition picaresque du récit trouvé. Sa bande dessinée ne serait ainsi que l’adaptation d’un roman d’un ancien secrétaire de Déséo : Jonas Arquero. Il joue ainsi avec des codes vieux de plusieurs siècles et s’amuse avec les références autant picturales que narratives ou cinématographiques. Car l’œuvre est remplie de références ; chaque page est l’occasion pour l’auteur de s’amuser avec des aspects historiques, personnels ou artistiques en rapport avec son sujet.

    La jubilation est communicative et le jeu, car il semble réellement qu’il s’agisse de cela, auquel joue l’auteur entraîne le lecteur dans un monde éblouissant, tant par la clarté de ses décors que par la justesse de son exécution.

    Devant un tel savoir-faire, une telle maîtrise de la narration, une si grande connaissance du sujet traité et l’apport qu’il y conduit, on ne peut qu’être admiratif. L’Espagnol est un grand de la bande dessinée mondiale, pas de doutes là-dessus. Sans attendre une quelconque confirmation du talent de cet artiste avec un autre album, on peut déjà s’engager et compter sur lui pour nous donner d’autres grands bonheurs de lecture.

    Cela faisait longtemps qu’une telle bande dessinée n’était arrivée dans mon escarcelle. Merci à ERKO pour cette judicieuse traduction.

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