• by  • 7 April 2004 • Non classé

    Résonances 2

    J’aime les aéroports et les hypermarchés. Mais j’achète plus souvent du jambon qu’un billet pour Gotham. Et ça c’est un fait. Voici donc le classement de mes hypermarchés préférés, ce jour à 16h 57′. J’indique le moment car c’est susceptible de changer, un peu comme un tirage Yi-King.

    – Le Carrefour de Châlons en Champagne.

    – Le Alcampo de Fuenterrabia (ex Pryca, c’est important).

    – Le Inno de Marc-en-Baroeul.

    ( Hors classement figure le Mall de Charleston, North Carolina, improbable création à la J.G Ballard, où je suis resté une après-midi sans repasser deux fois au même endroit, et qui m’a valu de rapporter en France une figurine Mego du Joker sans chaussures, et les novelizations de deux suites de Planet of the Apes. Excusez du peu.)

    Le Carrefour de Châlons-en-Champagne est au top pour des raisons évidentes. C’est l’archéomagasin, celui de mon enfance. J’y allais un jour sur deux avec ma mère et mes sœurs. La plus jeune a vomi un soir, en voyant une grue lâcher son contenu, croyant que c’était un dinosaure qui dégueulait. Une autre fois, ma mère a voulu acheter de la glace à la pastiche. On lui a dit pistache, au moins pendant trois ans, et encore parfois. Mais il se trouve que j’ai écrit des pastiches plus qu’à mon tour. Ma mère doit être un genre d’oracle, ou simplement une mère. Et puis dans la librairie de la galerie marchande, je faisais le plein de publications Artima (ou Aredit ?) et d’Alan Ford, une série injustement méconnue de Magnus & Bunker. Enfin, c’est dans le cinéma de ce Carrefour que j’ai vu mon premier Bruce Lee, Dieu le bénisse.

    L’Alcampo de Fuenterrabia tient la deuxième position, sous son identité précédente : Pryca. J’y allais avec mon père, cosa de padre a hijo. Les petits gitans grignotaient du chorizo suspendu à la gondole, avant de s’esbigner vite fait. Et puis il y a eu longtemps un rayon de disques vinyl, bien après l’apparition du CD. J’en achetais à cause des pochettes, et des cartes ou posters qui y étaient inclus, alors que certains fils de pute fâcheux les chouraient en France. Pour être exhaustif, il convient de mentionner le portique en jambon, véritable construction babylonienne qui a survécu à la reprise du groupe Auchan.

    Le Inno de Marc-en-Baroeul prend la troisième place du podium. C’est un hypermarché pour gens qui ne vont pas dans les hypermarchés. Rien à voir avec le père de famille qui envoie ses gniards en éclaireur débusquer le Saupiquet, écho ancestral des chasses où l’on partait en clan charcler du mammouth, avant de s’en tailler une tranche sur place, de prendre une pizza aux trois fromages dans le Flunch de la galerie. Non. Inno est le paradis de ceux qui jouent à la marchande, et achètent des couilles de moustique farcies. Mais il se trouve que j’aimais bien y aller, et que c’est là que j’ai renoué avec les comics, après douze années d’abstinence.

    Il faut croire que les hypermarchés comptent pour moi, parce que j’en ai fait un film dont voici le texte :

    Ticket de caisse

    Scène 1 : caddies

    Oh ! le bel hyper !

    Rien n’est plus agréable à la vue qu’un passage de train de caddies sous les traits de la foule confuse et ensommeillée et j’ai le cœur agité par la dilatation. Chacun a un air de besoin très pressé. Et lorsque le chariot arrive, on se prépare à l’écarter. Les clients se détournent vite comme l’eau qui coule en abondance.

    Scène 2 : vue d’ensemble à l’entrée

    À ce niveau là, on se trouve entouré de caisses et d’appels à portefaix. Les ronflements du mouflet et les adieux des parents forment tout à coup un spectacle merveilleux à la volée qui se change en des airs de ministre.

    Scène 3 : caisses

    On se bouscule pour se rivaliser l’entrée devant les madames tout en beauté. Et le tourniquet de passage régule le battement des clients au cœur de mon hyperette. Oh ! quel plaisir de circuler dans les allées en globulant j’ai de la veine !

    Scène 4 : rayons pâtes

    L’attention du client est médusée par les tortillons empaquetés qui mettent les yeux en éveil. Les nouilles calment en vitesse les boyaux affinés au WC. Car le water closed est le nom anglais qui donne en français le cabinet d’aisance.

    Scène 5 : rayons PQ lessives. Un type de dos

    Et là, aux pleurs émouvants et lamentables se mêlent les grognements des cochons et truitesses dans leurs liens.

    Plus loin, quelques messieurs font leurs baisers et se serrent la main chaleureusement réciproque. Ils frétillent de la queue leu leu en cherchant les œufs de la fermière, peut-être pour lui garnir la caisse à bébé.

    Scène 6 : rayons vinasses et au fond boucherie

    Après avoir fait vœu de sa bouteille, on foisonne vers la boucherie.

    Les numéros d’appel à la main, les badauds commis d’aise discutent d’un nez rêveur et on se vide un à un pour se diriger vers le monsieur qui coupe au steackateur en titulant son tablier avec un geste habituel. Son sourire ingénu flatte bien des yeux. Il a du pâté à l’ancienne !

    Scène 7 : miroir de surveillance

    Monsieur le chef du bureau des vols,

    Je suis très respectueusement votre obligé de recevoir ma doléance en très urgent dans votre haute bienveillance. Quelle n’a été ma stupéfaction de surprendre un chaland pourtant très respectable coiffer des objets directement dans sa poche ! Vous entendez cela en le faisant passer ? Quant à moi non, mon commandant ! Il faudrait le convoquer afin de ranger cette histoire.

    Et d’avance, par congratitude à l’assis, je vous prie de croire, votre respectable justice, que je vous suis reconnaissant.

    Scène 8 : rayons conserves. deux femmes, maman, gamin.

    Comme tous les jours, la maman à fort à faire pour vilipender la curiosité de son lardon. Pensez-vous, il plébiscite les bonbons ! Cette raillerie aboutit à la chicane et la lutte réjouit les dégâts regrettables de carnages de gueules et motive le renversement dans la vocifération et l’injure.

    Scène 9 : fruits et légumes

    De tous les rayons les acheteurs débouchent avec vacarme et rentrent dans les cageots où une fraîcheur s’y baigne. L’aimable connaisseur en fruits ronds et carrés plastique les denrées pendant qu’on bronze sous les lampages. C’est bien d’être en vacances grâce au manger, mais attention à la banane dans l’araignée !

    Scène 10 : sortie caisses

    Les retardataires courent à plat ventre et tombent scrupuleusement dans la gondole qui se disperse dans le lointain. La bousculade fait pleurer les marmots dans le sein de leur mère à l’atmosphère suffocante et à la bouche ornée d’un sourire. Mais enfin il faut sortir pour revenir !

    Scène 11 : Pharmacie

    Monsieur le pharmacien,

    Je viens respectueusement auprès de votre haute personne me plaindre du cas suivant :

    Depuis bientôt trois mois maintenant je souffre beaucoup d’une maladie, et je crois que c’est vous qui serez mon sauveur. Je sens une vive douleur ou grattement dans la cage qui se propage dans les reins, hanches, cuisses et, fin du fin, un grondement monotone qui raisonne du bassin aux oreillettes accompagné d’une démangeaison qui s’agite comme un ours.

    Puis une sensation de douleur qui se donne comme le tic tac d’une montre par intervalles dans le pylôre d’où je suis forcé à serrer fortement mon méat. Je n’en puis plus.

    Aussi, monsieur l’apothicaire, si vous voyez qu’en jour ouvrable vous pourriez avoir un remède efficace dans votre pharmacie, prière de me le remettre d’urgence tout de suite et reste dans l’attente, votre sainteté, votre débiteur reconnaissant.

    Sûr, ça ne risque pas de bouleverser Stanley Kubrick. Mais Kubrick est mort, et je suis vivant.

    Xavier Mauméjean

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