• by  • 3 March 2006 • Non classé

    Locas
    Jaime Hernandez
    Seuil

    Locas est un recueil d’histoires courtes parues à l’origine dans le magazine des frères Hernandez, Love and Rockets, de 1982 à 1996 (un deuxième volume est prévu toujours au Seuil). Au début du livre, nous sommes donc en pleine explosion punk dans la Californie des eighties et nous suivons les péripéties de Hopey et Maggie, deux jeunes femmes libérés, modernes, totalement dans l’air du temps et, bien évidemment, ayant du mal à trouver une place dans cette société qui a, années 80 oblige, tendance à rejeter tout le monde. C’est aussi la chronique d’un barrio latino, peuplé de personnages totalement déjantés et loufoques, mais aussi complètement réalistes dans leurs réactions. Certaines histoires s’attachent à coller aux états d’âmes des protagonistes, tandis que d’autres partent dans des univers oniriques ou fantastiques gérés avec tellement de naturels qu’ils fonctionnent complètement. On croise donc des catcheurs, des ex-taulards, des scooters sur aéroglisseurs, des concerts de rock, des dinners, de l’architecture vernaculaire de la Californie du sud et le soleil, toujours le soleil. Au-delà de ses scénarios irracontables et que l’on ne peut réellement appréhender qu’en les lisant, Locas est aussi l’occasion de se délecter du trait de Jaime Hernandez, noir et blanc sublime, entre Kirby et ligne claire. Le dessinateur épate autant par sa science de la narration (simple, belle et efficace) que par la densité et la maîtrise de son trait, véritable régal pour l’amateur. Il y a donc de tout dans Locas, un graphisme magnifique au service d’histoires de tarés, de la folie et du quotidien, du rock et des larmes et même, paraîtrait-il, de l’amour et des fusées…

    The Goon t. 2 Enfance assassine
    Eric Powell
    Delcourt

    Après un premier volume décevant par rapport au buzz qui avait accompagné sa sortie en France, The Goon surprend ses détracteurs (dont j’étais) avec les premiers épisodes de la série régulière publiés ici par Delcourt. On y assiste à l’habituel déluge de références détournées (de Archie à la Quatrième Dimension, tout y passe) et aussi à l’enfance, évidemment perturbée, du personnage titre. The Goon est méchant, brutal, pince-sans-rire, bref, il n’y rien du héros américain typique et l’univers dans lequel il évolue, sorte d’années 50 où les EC Comics auraient été la littérature dominante, est un canevas idéal pour ses aventures. Ce qui plaît dans The Goon, outre les clins d’œil adressés au lecteurs, est cet humour de sale gosse, jouissif et immédiat, comme si Groucho Marx pissait sur tout ce qui bougeait, cigare aux lèvres. Eric Powell s’amuse énormément à dessiner The Goon et malgré ses dehors d’américain discret, le gars offre un trip délirant et fun à l’opposée de la production mainstream actuelle.

    La Nouvelle Frontière tome 1. Des dieux et des monstres.
    Darwin Cooke
    Panini

    Ancien animateur sur le dessin animé Batman, Darwin Cooke est un de ces nouveaux talents qui allient modernité et respect des traditions. Son approche graphique convoque autant Jack Kirby qu’Alex Raymond ou Steve Ditko tandis que sa mise en page en trois strips lui permet quelques audaces de narration. Sous de beaux atours, La Nouvelle frontière raconte l’histoire des super-héros de l’univers DC, et surtout de la Ligue de Justice, replacée dans le contexte de l’après deuxième guerre mondiale et des années 50. Nous suivons les aventures d’Hal Jordan, du Martian Manhunter, de Batman, de Wonder Woman et de tous leurs supers amis aux prises avec la réalité de l’époque : guerre de Corée et conquête de l’espace. Au Sands, Cassius Clay balance des bourre-pifs sur le ring tandis que Sinatra fait son numéro avec Dino et dans le ciel, des personnages héroïques se battent contre des pieuvres géantes. Cooke rend bien l’atmosphère de ses années 50 fantasmées et rétro-futuristes et signe un album novateur et respectueux d’une certaine tradition super-héroïque qui semble, de nos jours, ensevelie sous les Crises d’Identité et autres relaunchs. Ne cherchez pas plus loin, le côté merveilleux et éblouissant des gars en capes et en collants est tout entier contenu dans cet album….

    Les aventures de Luther Arkwright
    Bryan Talbot
    Khymera

    Comment parler de Luther Arkwright a un lecteur qui n’est pas déjà familier avec les travaux de Michael Moorcock sur le Multivers et Jerry Cornelius ? Mission difficile tant toute l’œuvre de Bryan Talbot semble être un contrepoint parfait, version bande dessinée, d’une certaine vision de la science-fiction selon Moorcock. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu ce dernier pour comprendre ou apprécier Luther Arkwright, mais l’impression, pour le lecteur qui connaît Cornelius, de se trouver face à une adaptation non-officielle de ce fascinant personnage est présente tout au long des 200 pages de la bédé. Je ne parle pas ici de plagiat, Moorcock lui-même, dans une introduction à la version anglaise de ce volume malheureusement non reproduite ici, coupe court à cette idée. On pourrait alors, à l’instar de la reprise d’un même morceau de musique par différents interprètes, évoquer une variation sur les mêmes thèmes : ceux des univers parallèles et du anti-héros romantique anglais. Talbot y ajoute un désespoir apocalyptique et ôte à la vision de Moorcock une coolitude sixties que l’époque où le dessinateur créé son œuvre n’autorise plus. Impression de décadence et de déréliction renforcée par le trait noir et précis de l’auteur dont cette édition française, de l’avis même de Talbot, offre une meilleure reproduction. On passera donc sur les couleurs ratées de la couverture pour saluer le courage des éditions Khymera qui n’hésitent pas à publier des œuvres exigeantes au milieu d’un tas de traductions américaines dont on cherche souvent l’intérêt.


    Deux Sœurs

    Matt Kindt
    Rackham

    Sous-titré Un Roman d’espionnage, cet énorme pavé est autant un puzzle qu’une bande dessinée. De la couverture à la quatrième de couve, tout fait sens dans ce labyrinthe narratif qui conte, vous l’aurez deviné, l’histoire de deux sœurs aux prises avec le tourbillon de la guerre et des événements qui les dépassent. Derrière un graphisme quasi-iconique qui vise à l’efficacité, Kindt déploie plusieurs niveaux narratifs et entrecroise motifs et personnages pour offrir un véritable roman d’espionnage avec codes secrets, poursuites et assassinats, le tout dans l’atmosphère pesante de l’Europe en guerre. Un ouvrage exigeant qui récompensera les lecteurs qui auront osé l’expérience.

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