• by  • 6 August 2008 • Non classé

    Patienter dans l’antichambre du bureau du président de la République française peut s’apparenter au temps passé dans la salle d’attente d’un dentiste. Les questions s’y amoncellent. De quoi va-t-il s’agir cette fois ? Simple détartrage terminé en cinq minutes ou demi-heure de soins pour une carie que l’on s’ignorait ? Va-t-on vivre un moment désagréable, mais court ou bien un enfer qui risque de s’éterniser ?
    Lorsqu’on travaille pour la DGSE, une rencontre avec le chef de l’état suscite le même genre d’interrogations : le président va-t-il vous accorder cinq minutes pour vous serrer la main ? Vous féliciter de votre travail « décisif pour la France » ? Ou va-t-il au contraire vous injurier à propos de votre dernière mission, puis menacer de faire trucider votre famille si l’envie vous prenait de dévoiler le moindre éléments de cette opération raté avant de vous mettre au placard ? Ou, s’il vous reste un peu de chance à ce stade, va-t-il se contenter de vous virer ?
    Fred Minard n’avait jamais croisé la route de celui que le peuple avait élu avec plus de 93% des voies, mais les récits glanés à propos de ce type de rendez-vous ne le rassuraient pas. Assis sur un fauteuil XVIIème dans un large couloir près de la porte du bureau présidentiel, il ne pouvait s’empêcher de repenser à cette histoire que lui avait raconté un jour Bruguet. Une agente dont une erreur de traduction avait compromis une importante transaction avec la Lybie n’était jamais réapparue après sa visite à l’Elysée. Des rumeurs courraient sur ce qu’il lui était advenu. La plus farfelue évoquait un cadavre balancé par une équipe de nettoyage sur la côte bretonne. Minard frissonnait à l’idée de la température de l’eau au large de Perros-Guirrec, lorsque le craquement du plancher le tira de sa rêverie Atlantique.
    La porte qui le séparait du bureau du président s’ouvrit et un huissier en costume lui indiqua qu’il pouvait entrer. A l’intérieur, le secrétaire général lui tendit une main ferme que l’agent s’empressa de serrer.
    — Monsieur Minard, ravi de vous rencontrer.
    — Euh, moi de même.
    — Si vous voulez bien me suivre, le Président vous attend.
    Le second du chef de l’état ressemblait au haut fonctionnaire standard. Cheveux grisonnants, raie sur le côté, yeux vides, sourire carnassier, un faux air d’Hergé, mais un Hergé qui aurait enculé Milou avant le petit-déjeuner. Son costume bien taillé et son eau de toilette de luxe parvenaient à peine à masquer son allure de représentant de commerce typique.
    L’image d’un hôtel Formule 1 traversa l’esprit de Minard tandis qu’il passait le seuil qui le séparait du bureau du président. La pièce n’était pas aussi grande qu’il l’avait imaginé. Le bureau, en revanche, mesurait plus de deux mètres ; l’agent n’en avait jamais vu d’aussi grand, pas même lorsqu’il s’était retrouvé devant celui de ce mégalo de préfet des Antilles lors d’une mission qui avait impliquée une fille magnifique, mais unijambiste, un poison mortel et une session de plongée sous-marine en compagnie d’un commando mené par un général corse à l’haleine provençale.

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