• Ideaspace gentlemen’s club

    by  • 14 March 2011 • Non classé

    Ideaspace gentlemen’s club : premier épisode
    19h23, Ideaspace gentlemen’s club, un endroit hors du temps où quelques-uns des cerveaux les plus déments viennent se détendre après une dure journée de labeur dans les méandres archétypaux. Le professeur X (Xavier Mauméjean) et le docteur Laurent (Laurent Queyssi) partagent un apéritif turc (à ne pas confondre avec Turkish Delight, désignant les loukoums mais aussi la sodomie dans l’argot victorien) dans des fauteuils centenaires, mais confortables. Début de la retranscription…
    LQ : Je viens de finir Un paysage du temps, sans doute le meilleur livre sur le voyage dans le temps que j’ai pu lire.

    XM : Ah ah, pas lu. Moi, outre évidemment le Wells, parmi mes romans préférés sur le temps sont ceux où il y a une histoire d’amour :
    Le voyageur des siècles, de Noël Noël
    Le jeune homme, la mort et le temps, de Richard Matheson,
    Le temps n’est rien, d’Audrey Niffenegger

    LQ : Le Wells est fondateur et a bien vieilli en effet. Je n’ai lu aucun des trois. Mais outre les histoires d’amours, il est vrai que les histoires de voyage dans le temps fonctionnent mieux lorsqu’elles touchent directement les personnages.
    Un paysage du temps est assez passionnant parce qu’on n’y fait voyager que des tachyons vers le passé. Des chercheurs d’un 1998 où le monde est au bord du gouffre (le bouquin date du début des années 80) envoient des messages en morse, via les tachyons, en 1963. La narration alterne entre les deux dates et le moment pivot est lorsqu’un des hommes de 1998 va, dans une banque ouvrir un coffre fermé depuis trente cinq et y découvre un papier jaune sur lequel est inscrit: « La Jolla message reçu ». Ce simple petit bout de papier est la preuve que le voyage dans le temps fonctionne véritablement. Et c’est sans doute plus réaliste qu’un terminator revenant vers le passé. Si ça devait arriver, ça ressemblerait probablement à ça. Un petit bout de papier laissé quelque part.
    D’autre part, Benford introduit un paradoxe temporel, mais le résout d’une manière si élégante et scientifique que ça marche parfaitement. Je suis en général friand des histoires de voyages dans le temps bouclées, n’introduisant pas d’univers alternatifs (même si la théorie scientifique penche pour cette hypothèse), mais lorsqu’ils sont bien faits, ce qui est rare, ces récits peuvent offrir de formidables réflexions sur le temps et ses contraintes…

    Tu as déjà entendu parler de John Titor?

    XM : John Titor, bien sûr, le dépanneur temporel…On se croirait dans les historiettes Time Twisters scénarisées par Alan Moore à l’époque de 2000 AD. Une part de sa production vient d’être traduite chez Soleil, bel objet jaune et noir. Tout n’y est pas toujours  bon, il n’y a pas forcément de quoi “se retapisser le caleçon” comme dit la copine de Ned Bigby dans Ned’s Declassified School Survival Guide, mais on sourit souvent. Cela me rappelle EC Comics de l’époque Gaines et Kurtzman…

    LQ : John Titor, je trouve ça fascinant. Si j’avais connu l’histoire de ce gars qui, sur des forums en 2000, prétendait venir d’un futur dévasté (largement inspiré de Terminator, il faut bien le dire), je crois que j’aurais aimé y croire. Rien que pour le frisson ou le vertige.
    Puisque tu parles de traduction de bédé anglaise, je ne sais pas si celle du Moore est bonne, mais j’ai parlé de traduction récemment sur mon blog. Je me cite “Dans les deux ou trois derniers albums traduits que j’ai lu (tiens, même les Dallas Barr comprennent des anglicismes assez indignes), j’ai toujours trouvé au moins une page incompréhensible, ou de l’anglais transparent, ou une confusion, bref, des défauts qui me poussent de plus en plus à acheter tout en anglais. Soutenez les traductions, disent les forumers dans l’espoir de pouvoir lire tel ou tel titre. Je me demande si ça vaut vraiment le coup de les lire dans ces conditions…
    Qu’il est loin le temps où Manchette traduisait
    Watchmen.
    Du coup, je n’ai pas pris l’objet en question. Je suis plus dans ma phase Morrison et je viens, comme par hasard, de relire le volume des Invisibles où il y a chouette voyage dans le temps dont le symbole n’est pas un papier jaune dans un coffre, mais un origami qu’un chercheur japonais renvoie à son arrière-grand-père.

    XM : En fait les trois romans dont je parlais plus haut, dans des déclinaisons différentes, montrent combien le temps est consubstantiel à une histoire d’amour. Sauf qu’une histoire d’amour commençante est, par définition, tournée vers le futur. Et que les compossibilités de l’avenir font que cette histoire peut durer ou pas. Là, l’histoire d’amour, à son début, prend comme horizon d’attente le passé, et précisément parce que le passé est figé, il garantit l’incorruptibilité de cet amour. C’est un peu plus complexe dans le cas du roman d’Audrey Niffenegger, mais cela n’en fait pas forcément le meilleur des trois. 

    LQ : Je m’aperçois que j’ai vu le film adapté du bouquin de Niffenegger. On est dans une inéluctabilité magnifique, quelque chose d’aussi beau et bouclé que La Jetée, même si c’est plus complexe.
    Outre les histoires d’amour, il y a pas mal d’histoires qui se fondent sur la relation filiale et/ou le retour dans le corps que l’on avait à dix-sept ans (il y a une bédé de Taniguchi sur ces prémisses). Des thèmes assez universels finalement. Les erreurs passés, revoir ses parents morts.
    Et puis il y a ce truc de déglinguo, Le Temps du twist

    XM : Bon, ça y est, Johnny Storm, “La Torche” des Fantastic Four est mort. Quelqu’un veut un café ?

    LQ : Deux sucres pour moi.
    Je crois qu’on pourrait faire une histoire parallèle de la chute de l’Empire américain en se servant de celle des comic-books comme métaphore. Ca sent déjà la fin depuis belle lurette, mais la mort comme artifice narratif, ça commence à faire grincer les dents des fanboys qui restent encore.
    Et il y en a bien encore quelques-uns. Je le sais, je reviens d’Angoulême. Ce sont les gars qui se sont levés dès que Charlie Adlard a cessé de parler lors de sa rencontre pour aller lui quémander un autographe sur un des nombreux volumes de Walking Dead. Remarque, c’est pas comme si le mec avait eu des choses intéressantes à dire avant. C’est qu’un dessinateur, faut dire (et là, je me grille avec 50% des talents français qui ne voudront plus jamais faire de bédé avec moi).
    Ceci dit, en y repensant, la boîte de Pandore, c’est Doyle qui l’ a ouverte en faisant revenir, l’autre, là, Sherlock Holmes.
    D’ailleurs, tu as vu la nouvelle série avec le personnage modernisé?

    XM : Non, je ne l’ai pas encore vu mais j’ai l’impression que tu tiens quelque chose de très intéressant. Doyle comme premier (en tout cas notable) à faire revenir le héros mort. On sait que c’est à son corps défendant et qu’il a essayé de biaiser en publiant d’abord Le chien des Baskerville qui est situé AVANT la mort du héros. Mais le public voulait un vrai retour. Tu as raison, je ne l’avais jamais vu, mais cela me semble être en effet le fait de Doyle.

    Cela nous ramène à notre discussion sur le temps. En fait, ça rompt avec la conception classique du héros. Jusqu’alors, c’est plutôt la naissance qui posait problème (Oedipe, Moïse, Romulus & Remus etc.) comme si le brouillard sur leur passé leur garantissait un futur d’exception. C’est aussi le cas pour Superman et Batman, chacun étant orphelin de son devenir assuré et glorieux pour mieux bâtir sa destinée héroïque. Mais le Kryptonien et le Gothamite sont davantage des héros classiques, archétypaux, que contemporains. Alors que ces  derniers doivent aller jusqu’à l’horizon indépassable qu’est la mort, le franchir et revenir. C’est sûr que le retour du royaume des morts n’a pas attendu la modernité, mais de nos jours, particulièrement dans les comics, le voyage est plus simple que de prendre le RER à certaines heures.  

    Du coup, si le medium des Comics est lui-même en train de mourir, penses-tu qu’il a déjà reprogrammé sa renaissance ?

    LQ : France 4 repasse la série comme M6 la petite maison dans la prairie. Tu ne pourras pas y échapper.
    Les super-héros aussi, comme leurs ancêtres mythologiques ou antiques ont d’abord mangé sur le dos de leurs « origines » (il suffit de regarder les adaptations ciné pour voir que la mode se perpétue) puis est venu le temps d’aller à l’autre bout (là, c’est sans doute Moore et son Whatever happened to the man of tomorrow ? qui a lancé les choses (mais quelle mode n’a-t-il pas lancé à son corps défendant) et peut-être aussi le superbe recueil de la mort de Captain Marvel, indépassable et non dépassé).
    Quand à la simplicité du voyage, ce site montre bien que la carte orange existe aux US: http://bullyscomics.blogspot.com/2011/01/again-but-that-trick-never-works.html

    Le format comics est déjà mort. Sa renaissance passe par les recueils, ce qu’on appelle les Trade paperback que l’on trouve dans les librairies généralistes. Les histoires ne sont plus pensées pour être conclues dans les 22 pages d’un fascicule, mais pour s’étaler sur plusieurs et l’intrigue ne prend toute sa saveur que lue dans un recueil. Les créateurs sont déjà passés à autre chose, marché oblige.
    Les comics se réinventent un peu en bédé franco-belge. Reste le problème de la toute puissance des super-héros (comme si en France il n’y avait qu’un genre qui dominait 95% des ventes).  Le réservoir à cash qu’est Hollywood maintient en vie artificielle ces personnages le plus souvent ridicules réservés à la base aux enfants et lus uniquement par des adultes (avec le décalage de situation et la médiocrité qui en résulte).
    La bédé américaine se portera peut-être mieux créativement le jour où il n’y aura plus de production de fascicule. Ou pas.

    Tu as lu The unwritten?

    XM : Non, mais je vais me le commander de ce pas après être allé voir sa page Wiki.

    Dans vraiment la même veine, as-tu lu “La passerelle” de Christopher Golden ?

    LQ : Non, mais je vais faire comme toi.
    Un truc qui m’avait fasciné, dans le même ordre, c’était l’histoire de Christopher Milne, le gamin qui a “inventé” Winnie L’Ourson et ses potes http://marshotel.blogspot.com/2010/11/unwritten-winnie-lourson.html
    Il estimait qu’on lui avait volé son enfance. C’est hyper triste, mais quelle histoire magnifique cela fait. C’est du vampirisme psychique adapté aux peluches…

    Je repense à Holmes. Non seulement, il est le premier héros moderne à avoir retraversé le Styx dans l’autre sens, mais en plus il a inventé les premiers fan-clubs, cosplays et fan fiction.
    Pas mal de charges pour un sujet de sa Majesté…

    XM : Nom d’un chien : tu es en train de m’expliquer de quoi est fait un hot-dog. J’ai moins envie, tout à coup…

    Fin (provisoire) de la retranscription

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