• Dis papa, c’est quoi la science-fiction ?

    by  • 22 June 2015 • Non classé • 1 Comment

    J’ai regardé Jupiter Ascending, le dernier film des Wachowski. Une histoire de conte de fée quasi enfantine à l’étrange structure piquée au trois petits cochons avec un sous-texte de lutte des classes. Un film très étrange, raté, mais attachant. Avec des ellipses surprenantes et un manque d’approfondissement des personnages, on sent le film à l’accouchement difficile, mais l’on ne peut juger que du résultat. Et ce résultat ressemble malheureusement à un scénario de film pour enfant avec un sous-texte politique et un manque évident de cette fausse coolitude débile qui semble imprégner tous les blockbusters à succès récent. A la fois trop simple et trop complexe pour fonctionner, le film offre quand même quelques visuels stupéfiants (beau travail de design des vaisseaux et des décors étrangers) ainsi que de belles idées de SF (la combinaison enveloppante, par exemple, typiquement le genre d’effets qui manque à la SF au cinéma). Malgré tous ces défauts et en vertu de ces quelques moments d’invention visuelle bien travaillés, Jupiter Ascending reste, et c’est bien malheureux, au-dessus de ses équivalents à succès, Les Gardiens de la galaxie, avec son scénario tout aussi incompréhensible, ses images resucées, son humour de lycéen et son manque d’idée originale, en tête.

    La polémique continue aux Etats-Unis autour des Prix Hugo entre, d’un côté, des activistes d’extrême-droite (racistes, anti-féministes etc) et un groupe un peu plus modéré, et de l’autre, le reste du fandom, plutôt situé à gauche. Les premiers, menés par plusieurs auteurs au lectorat conséquent (Brad Torgesen,Larry Correia) et un activiste taré (Vox Day) ont décidé de faire entendre leur voix et leurs opinions en poussant leurs candidats parmi les finalistes des Prix Hugo. Ils ont organisé un vote en masse pour certains textes de leur choix et la guerre fait rage depuis. Les textes finalistes sont visiblement, pour la plupart, indignes de se retrouver là et les deux camps s’affrontent par blog interposés à coup d’invectives. Dernière affaire en date, une tentative de boycott de Tor, un des principaux éditeurs américains de SF/fantasy, par les fidèles de Vox Day suite au post d’une employée de la maison d’édition, traitant le groupe des Rabid puppies (c’est ainsi qu’ils se font appeler) de néo-nazis (et elle n’en est pourtant pas loin.) Evidemment, même si cette polémique, que l’on peut suivre ici si l’on lit l’anglais, ne concerne que le fandom SF, quelques milliers de personnes tout au plus à l’échelle mondiale, et ressemble pour le reste du monde à une tempête dans un verre d’eau, toute cette affaire est sans doute significative d’une tendance actuelle à un durcissement, à la tension croissante que l’on sent partout, à ce retour de bâton que l’on semble se prendre dans la gueule depuis quelques temps. Et qui n’épargne rien, ni personne.
    Chaque pas de gagné se doit d’être conservé, consolidé pour ne pas être battu en brèche. Cet épisode, qui fout un sacré bordel dans le monde de la SF anglo-saxon pourrait nous sembler éloigné de nos préoccupations et de notre quotidien.
    Il n’en est sans doute rien.
    Car en cédant un pouce de terrain, en laissant la crise désigner des boucs-émissaires et les vrais bénéficiaires blancs comme neige, on finit par entendre des “citoyens” dire à la radio “qu’on ne peut pas accueillir tous ces migrants”, sous-entendu qu’on n’a qu’à les laisser crever chez eux, ou dans l’eau salée où ces mêmes “citoyens” transformés pour l’occasion en “touristes” vont tremper leur cul au mois d’août.
    J’ai envie d’éteindre ma radio, parfois, de lancer mon poste pour qu’il éclate contre le mur et que les conneries que j’y entends ne me parviennent plus. Et avant de devenir fou de haine à mon tour.
    Mais ça serait trop facile. Il faut plutôt lutter. Avec ses armes. En parlant avec des cons, s’il le faut, ou ceux que la jalousie ou la surconsommation rend con, tout au moins. En expliquant. En écrivant. En se comportant dignement, au quotidien. En élevant ces enfants pour essayer d’en faire des êtres humains pensants et pas des sujets.
    Et en ne cédant pas à Vox Day et à son armée de connards, également. Car cette “bataille”, même symbolique, reste importante, elle aussi.
    Ne rien céder, à aucun niveau. Même si cela devient de plus en plus difficile.

    Edit: un article du monde dans l’edition d’aujourd’hui resume à peu prés bien l´origine des événements.

    Avec ce bourrage d’urne (ou alors parce qu’il ne parle plus vraiment au fandom SF), le dernier roman de William Gibson, The Peripheral, n’est même pas nommé dans la catégorie meilleur roman du prix Hugo. Vraiment dommage tant il décrit ce qu’il est en train de se passer, en creux, cette crise perpétuelle, cette incessante fin de la civilisation, avec une talent qui confine au génie. Ce texte, bien des mois après sa lecture, me hante encore et résonne en moi. Vraiment un des très grands romans de SF de ce début de millénaire.

    J’ai entamé le dernier Neal Stephenson, Seveneves, qui, dans un autre genre, m’a l’air d’être aussi un sacré mastodonte de science-fiction à la fois post-apocalyptique et visionnaire. J’en reparlerai sans doute.

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