• Genèse: Sous la colline de David Calvo.

    by  • 8 October 2015 • Genèse • 0 Comments

    Le nouveau roman de David Calvo s’appelle Sous la colline. Il y est question de l’Unité d’Habitation Le Corbusier à Marseille et de la plongée d’une jeune femme, Colline, dans cette utopie sociale. Et il y est aussi surtout question de l’auteur. Explications.

    David Calvo:

    J’ai vécu mes premières années de vie en face du Corbu, dans la résidence des Petites Magalones, et pas mal de membres de ma famille y sont restés après notre déménagement, dont ma grand-mère – on leur rendait souvent visite le week-end ou j’y allais passer des semaines l’été. De l’autre côté du boulevard Michelet, je voyais ce bâtiment étrange qui n’a jamais cessé de me fasciner, et je me disais : un jour, j’y habiterai. J’allais regarder mes copains jouer au foot sous les pilotis. J’ai rêvé du lieu avant de le visiter – j’ai même visualisé des endroits en rêve dont je n’ai découvert l’existence que bien plus tard. Quand j’ai commencé à écrire sérieusement, vers 16 ans, je me suis dit que j’aimerai bien faire un roman sur le Corbu, avec tous ces endroits fermés mystérieux, cette poésie du béton cramé par le soleil. Le bâtiment a continué à me fasciner et quand j’ai commencé à m’intéresser sérieusement à l’architecture, j’ai vu dans le Corbu comme une vision pragmatique d’une arcologie, coupée de l’oeuvre de son géniteur – le personnage du Corbusier m’a toujours paru détestable. Le destin a voulu que je revienne au sujet des années plus tard, quand l’idée de placer l’antique au sein du bâtiment m’a permis d’explorer les origines de ma ville natale, une ville que j’ai fuis mais que je n’ai jamais cessé d’explorer dans mon travail – une soupe de mythes, le mariage de Protis et Gyptis, Marie-Madeleine, les Félibresses. Comme toujours, par un extraordinaire concours de circonstances, j’ai trouvé comment habiter sur place, grâce à une rencontre incroyable, qui m’a ouvert les portes de l’intimité du lieu. Je me suis fait des amis, interviewé des résidents historiques, qui m’ont donné les clés qui me manquaient. J’ai pu explorer le lieu dans ses moindres recoins, notamment les plus secrets – les tunnels, les angles morts. J’ai fais de la vie au Corbu un élément central de mon quotidien, tout en sachant que je ne faisais pas partie du lieu. L’écriture du livre m’a pris trois ans, ce fut très dur, surtout sur la fin. Sans le soutien d’une amie précieuse, je n’aurai jamais pu finir. Sous la Colline est un ouvrage très personnel, encore plus que mes romans précédents, puisqu’il traite de transidentité, une réalité avec laquelle je compose une vie bancale depuis des années. J’avais besoin de trancher quelque chose sur le sujet, de le dé-dramatiser. Le personnage de Colline est un écho. Colline est plus avancée que moi dans son processus, mais j’avais envie de montrer une étape supplémentaire, pas simplement de la transformation d’un corps en un autre, mais aussi d’un humain vers autre chose. Le transhumanisme m’a toujours paru un peu ridicule – pourquoi voudrais-je devenir un cyborg avant de devenir humain ? – mais l’idée de changer radicalement d’enveloppe et de contenant me fascine, ça doit remonter à Galaxy Express je pense. A ma façon, j’ai essayé d’amener la sensation, de ce que ça fait depuis l’intérieur, de comment on se sent perdre pied puis trouver d’autres supports, des soutiens. Comment on tente de s’exprimer mais que les mots qui sortent sont des pièges. Comment le vocabulaire s’enfuit et comment, aussi, la langue et la culture française sont construits autour de principes mettant la masculinité sur un piédestal. La France est un pays à Papa, et je voulais explorer comment tout ça m’avait construit, et pourquoi j’avais refusé d’embrasser une féminité qui m’était nécessaire comme de l’eau. Je grandis avec mes livres. Il ne me viendrait pas à l’idée d’écrire un roman sans me mettre en jeu. J’aimerai pouvoir écrire sur des choses qui me touchent moins, comme j’ai pu le faire par le passé. Mettre mon sujet à distance. Mais j’ai encore du chemin à faire pour arriver à ce point d’équilibre – et ça passera forcément par une découverte de moi-même, rendue possible par l’écriture. Alors, peut-être que je pourrais enfin me tourner vers l’autre.

    Sous la colline sur le site de son éditeur, La Volte.

    Dans Genèse, un écrivain revient sur la création de son dernier livre. Auteurs, éditeurs, pour participer, vous pouvez me contacter: laurent@laurentqueyssi.fr

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