• A Match made in space.

    by  • 12 January 2018 • Non classé • 3 Comments

    Je viens de recevoir les exemplaires de ma dernière bande dessinée : Phil. C’est toujours sympa de recevoir des livres sur lesquels on a bossé des années. Mais ce n’est pas le meilleur.
    Pour la peine, je vous poste ci-dessous, un extrait d’une des dernières livraisons de ma newsletter.

    Un après-midi de décembre à la médiathèque Jean Vautrin, je zone dans la section bande dessinée européenne, au milieu des séries sans fin et des one-shot d’auteurs. Partout des volumes dont j’ai entendu parler, certains que j’ai lus ou dont je connais les auteurs, mais la plupart me sont inconnus. Une grande majorité de ces bouquins ne me disent rien. Jamais vus, jamais croisé une critique ou leur couverture dans une librairie ou sur le net. Bon, ok, je ne suis pas l’actualité bd comme j’ai pu le faire : trop de choses et surtout trop de choses inintéressantes à mes yeux. Mais tout de même. Dans une médiathèque comme celle-ci, avec beaucoup de livres récents, je ne connais pas plus d’un quart de ce qui est proposé. Sans doute parce que la majorité de ces livres n’ont pas été exposés comme ils auraient dû l’être. Ou parce qu’ils ne méritaient pas de l’être.
    Quoi qu’il en soit, un espèce de malaise m’a pris tout à coup. Un sentiment de gâchis et de découragement. A quoi bon passer des années à présenter un projet, à le mettre en forme, à l’écrire et à le suivre jusqu’à son accomplissement pour qu’il se retrouve noyé dans la masse dans l’une des milliers de médiathèques comparables ? A quoi bon suer sang et eau pour que son bouquin n’atteigne même pas ses lecteurs parce que les libraires, noyés sous une avalanche de titres ne le mettront jamais en avant ? Ils ne connaissent pas l’auteur, ne s’intéressent pas au sujet ou le représentant a peut-être tourné la page du catalogue un peu trop vite lui aussi, lorsqu’il l’a présenté, parce qu’il ne connaît pas les auteurs ou ne s’intéresse pas au sujet.
    A quoi bon ? Rien qu’en écrivant là-dessus, en essayant de le décrire à cet instant, ce sentiment remonte en moi. Ce découragement. Il n’y a pas d’autre mot.

    Et pourtant. Je n’ai pas le choix.

    Suivez-moi bien.

    Il y a cette scène à la fin de Retour vers le futur, quand Marty est revenu dans le présent et que tout a changé, où il retrouve ses parents qui ne sont plus des ratés intégraux, mais se sont accomplis. Son père reçoit alors des exemplaires d’auteurs de son dernier roman de science-fiction, la suite logique et positive des petites histoires qu’il écrivait en cachette à la cantoche du lycée. Quand j’ai vu cette scène gamin, j’ai tout de suite été fasciné par cette situation. George McFly, le type auquel je pouvais m’identifier quand il était jeune (je ne jouais alors pas de guitare, ne faisait pas de skate, n’avais pas de nana: j’étais loin de ressembler à Marty), s’était transformé en un auteur à succès, un type qui recevait des bouquins aux couvertures bariolées avec des ET et des vaisseaux spatiaux (bon, le gars portait aussi, si je me souviens bien, un pull noué autour des épaules, style country-club : nul n’est parfait). En voyant ça et – même si je n’aurais jamais pu imaginer alors qu’il était possible qu’un jour, moi aussi, je reçoive des exemplaires d’auteurs d’un de mes bouquins – je me suis dit que ça devrait être tout de même sacrément génial d’être écrivain.
    Je ne sais pas jusqu’à quel point, mais je crois que cette scène a joué un certain rôle dans mon envie de me mettre à écrire (peut-être qu’en secret, je rêve d’avoir un pull blanc noué autour des épaules). Mais ce que j’ignorais alors, c’est que l’enthousiasme que ressent le couple McFly en recevant ces exemplaires d’auteur, c’est du bidon. En tout cas, pour moi. Quand j’ouvre le colis qui contient les bouquins en questions, je suis certes content de voir le produit fini, de tâter la bête, mais ce n’est rien en comparaison de tout ce qui s’est déroulé avant. L’achèvement du travail quotidien, notamment, cette sensation d’avoir accompli ce qu’on avait à accomplir dans la journée. Ce tourbillon entraînant de l’écriture lorsque je ne quitte pas les yeux de mon écran et que mes doigts avancent à vitesse grand V et que quand je relève la tête, il s’est écoulé deux heures. L’enthousiasme lorsqu’une idée se connecte à une autre et qu’un projet prend vraiment forme, qu’une histoire s’impose dans mon crâne et exige d’être couchée sur le papier, sous une forme ou une autre, est mille fois plus puissant que l’ouverture d’un carton contenant des livres déjà achevés. Mais peut-être que montrer ce processus dans le cerveau de George McFly était moins cinégénique que de le voir recevoir ses ex d’auteurs.

    Tout ça pour dire, si vous m’avez bien suivi, que peu importe ce que deviennent mes livres, lorsqu’ils apparaissent en moi, je n’ai d’autre choix que d’essayer de les faire surgir. L’enthousiasme d’un nouveau projet dépassera toujours le sort d’un livre une fois achevé (quel qu’en soit le succès, j’imagine).
    Je me rends bien compte qu’il y a un petit côté bouteille à la mer à publier des livres qui se retrouveront noyés dans la masse, mais je sais aussi (Allison en est le parfait exemple) qu’il y a pas mal de gens isolés sur des îles qui sont ravis, parfois, de voir s’échouer sur le rivage une bouteille contenant quelque chose qui leur semble avoir été écrit pour eux. J’écris d’abord pour moi, évidemment, mais quel plaisir de savoir que quelques lecteurs se retrouvent dans le même état d’esprit que le mien en écrivant.

    Bon, en fait, George McFly n’a pas de pull sur les épaules, mais une veste. C’est un peu plus classe. On dirait une sorte de Kim Stanley Robinson huppé.

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