• Sandman, relecture : Volume 1, Preludes and Nocturnes

    by  • 1 August 2022 • Non classé • 0 Comments

    L’arrivée prochaine de la série TV sur Netflix m’a rappelé cette envie de longue date : relire Sandman depuis le début. Contrairement à d’autres séries de l’époque (80’s-90’s) comme les Invisibles, Preacher ou toute l’oeuvre d’Alan Moore de cette période, je ne me suis jamais replongé de façon systématique dans ce qui reste, à mes yeux, la seule oeuvre vraiment marquante de Neil Gaiman. Opinion controversée, je sais, mais si j’adore écouter parler l’auteur, je ne ressens pas d’affinité avec sa prose et je trouve à ses romans une certaine tiédeur qui, sans me les rendre complètement désagréables, m’interroge sur leur succès.

    Si j’ai découvert la série alors qu’elle avait déjà dépassé sa moitié, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire la fin de Sandman (via des singles issues lors de leurs sorties) avant de retourner picorer dans les volumes précédents. Quelques épisodes restent encore implantés dans mon cerveau et je me demande si l’oeuvre va encore tenir la route. Je ne suis plus un adolescent facilement épaté, même si je ne suis peut-être pas encore tout à fait revenu de l’imagerie gothique développée dans la série.

    Le premier recueil rassemble donc les épisodes 1 à 8 publiés en 1988-89. Dans le premier – qui, contrairement aux autres, de 22 pages, en totalise 40 – Gaiman fait d’entrée une Alan Moore. On sait que le scénariste a repris la suite de son ami de Northampton sur Miracle Man et, même s’il a déjà bossé sur plusieurs romans graphiques avec son camarade Dave McKean, qu’il se retrouve, en quelque sorte, posé sur les épaules de ce géant qu’est Moore. DC est avide de sang neuf et le fait d’être Anglais et d’appartenir à “l’école Moore” lui donne un avantage sur certains concurrents. Dès le départ, donc, il reprend une des astuces narratives du scénariste qu’il admire et renverse la table.

    Karen Berger, éditrice du label Vertigo, demande à Gaiman de créer une série Sandman, à la seule condition qu’il ne se base pas sur les Sandmen existant chez DC, un personnage des années 40 (Wesley Dodds que l’on retrouvera plus tard dans l’excellente série Sandman Mistery Theater) et un autre de Jack Kirby et Joe Simon datant des années 70. Le scénariste adopte alors une approche plus mythologique, plus fantasy, tout en s’inscrivant dans la tradition instaurée par Moore. Son personnage principal, le marchand de sable, personnification des rêves, est ainsi fait prisonnier dès le premier épisode et reste soixante-dix ans dans cet état. Son bourreau, un magicien à la Crowley nommé Roderick Burgess, n’emprunte pas qu’à l’homme le plus malsain du monde, mais fait également référence à ce bougre de Ron Hubbard (dont Gaiman connaît forcément l’histoire et les frasques puisque le père du scénariste était un des grands pontes de la scientologie en Angleterre). Avec un personnage dans la panade dès le départ, Gaiman prend un contrepied qui lui permettra ensuite de développer des tas d’intrigues pour combler le trou de soixante-dix ans où Dream (puisque le Sandman est le plus souvent appelé ainsi) était prisonnier. Une technique narrative de renversement éprouvée par Moore dans Miracle Man ou Swamp Thing.

    Gaiman s’inspire des meilleurs et cette influence principale est très visible dans ces huit premiers numéros. Il inscrit Sandman dans ce qui deviendra l’univers Vertigo en faisant apparaître le merveilleux John Constantine (créé par Moore), puis dans l’univers DC avec de multiples mentions plus ou moins importantes (Arkham Asylum, Doctor Destiny, Granny Goodness, les Sandmen précédents etc). Dream cherche à récupérer des objets qui lui ont été volés durant son emprisonnement et il part même visiter l’enfer pour y parvenir. Gaiman et ses dessinateurs – l’excellent Sam Keith et Mike Dringenberg – ne s’éloignent guère d’une forme de fantastique horrifique encore loin de ce que la série deviendra. Le scénariste demeure sous la forte influence d’Alan Moore et ne semble s’en extraire pour de bon qu’après quelques épisodes glaçants mettant en scène Doctor Destiny jouant à Dieu dans un diner. Dans l’épisode 8, l’auteur introduit le personnage de Death, soeur de Dream et personnification de la mort, une jeune gothique au look inspiré d’une des connaissances de Dringenberg et qui apporte la touche Gaiman, ce cocktail de mythologie et d’humanité dans lequel la série va tremper pendant toute son existence. L’impression de lire un dialogue entre Robert Smith et Siouxsie Sioux inscrit également la bd dans l’air du temps (les US ont été un peu en retard sur la vague cold/gothique et ce n’est qu’avec Disintegration que Cure a commencé à cartonner là-bas en 89) et l’on sent que la série correspond exactement à ce que souhaitent lire les étudiants citadins (pour caricaturer) de l’époque. The Sound of her wings (Le bruit de ses ailes) est l’épisode qui marque le véritable début de Sandman. Les numéros précédents, pour bien foutus et agréables à lire qu’ils soient, ressemblent en comparaison à quelques pas d’élans avant de faire décoller le deltaplane.

    On sent que Gaiman commence à voir le potentiel de ce qu’il a entre les mains et qu’il s’apprête à larguer ses influences et à passer la seconde. Ce premier volume est un beau prélude qui laisse présager le meilleur et dont l’impact sur la bande dessinée américaine se fait encore sentir aujourd’hui. Car Sandman a emmené un nouveau lectorat (plus féminin, plus cultivé) vers les comic-books et a posé, avec d’autres séries, les bases du label Vertigo qui démarrera en 1993 et marquera toute une génération de lecteurs et d’auteurs.

    About

    Leave a Reply

    Your email address will not be published. Required fields are marked *