Genèse : Holmes t.4 et Bob Morane, par Luc Brunschwig.
by Laurent • 13 October 2015 • Genèse • 0 Comments
Pour la première fois dans Genèse, c’est un scénariste de bande dessinée qui revient sur la création d’une de ses œuvres. Et en l’occurrence sur deux de ses œuvres puisqu’en ce mois d’octobre, Luc Brunschwig publie (en compagnie de ses co-auteurs) deux albums : Holmes t.4 avec Cecil au dessin et Bob Morane Renaissance, un reboot de l’Aventurier co-scénarisé par Aurélien Ducoudray et dessiné par Dimitri Armand.
Luc Brunschwig:
Voici près de 15 ans que je travaille sur le personnage de SHERLOCK HOLMES au travers d’une série intitulée HOLMES 1854 – 1891 ? et près de 3 ans maintenant que les éditions du Lombard m’ont demandé si j’avais envie de ressusciter BOB MORANE en bande dessinée. La hasard veut que les deux albums sortent en ce mois d’octobre 2015.
Un même mois et deux personnages de légende sous ma plume de scénariste BD, mais deux envies radicalement différentes, du moins, au départ.
Le HOLMES est une envie très personnelle partagée avec le dessinateur Cecil. Tous les deux, nous sommes lecteurs et fans de Sherlock Holmes depuis notre adolescence, du canon, comme de certains textes apocryphes. A force de discuter du personnage, nous avons eu envie d’écrire notre propre histoire de Holmes.
Malheureusement, il nous est très vite apparu farfelu d’essayer d’être à la hauteur des nouvelles de Conan Doyle. Le talent de Sherlock vient du fait que l’Angleterre victorienne qu’il a traversé est un monde extraordinairement codifié à tous niveaux. Bien connaître ces codes, c’est pouvoir devenir un décodeur instantané de ce qu’on a devant les yeux.
Or, il fallait bien admettre que ces codes, nous ne les possédions absolument pas.
Nous nous sommes alors dit que peut-être, essayer de raconter une histoire à travers le regard d’un détective plus dans nos capacités, comme l’ami de toujours le docteur Watson ? Mais alors, quelle enquête lui faire mener ? Il nous a semblé que le seul mystère que Watson ait jamais eu envie de percer était celui de la personnalité étonnante de son compagnon d’aventures. Nous avons donc décidé de revenir en profondeur sur ce qui fait la personnalité de Sherlock. Avec le désir un peu présomptueux d’apporter à la saga une pierre que nous espérons angulaire, en décryptant ce qui a fait la personnalité du plus grand des détectives de tous les temps.
A ce sujet, nous avons eu une idée (je ne la révélerai pas) qui à nos yeux, pouvait justifier tout ce que nous savions de Sherlock : sa misanthropie, sa misogynie, la distance qu’il a mis entre lui, son frère Mycroft et les autres membres de sa famille, sa filiation avec le peintre Horace Vernet, son addiction à la drogue.
Nous avons développé un scénario autour de cette idée… une histoire que nous déroulons comme une enquête policière, menée par l’ami de toujours, après la mort de Sherlock aux Chutes de Reichenbach.
Quelques jours après la mort de Holmes, plusieurs éléments viennent soudain contredire les derniers mots de Sherlock exprimés dans une lettre d’adieu adressée à Watson. Le docteur, déstabilisé dans un premier temps, puis intrigué, décide d’abandonner son cabinet de médecine afin de donner sens à tous ces doutes qui soudain l’assaillent.
BOB MORANE n’est pas une envie personnelle, mais une commande des éditions du Lombard. Ils cherchaient un scénariste pour ressusciter Bob Morane dont les albums en BD continuaient d’être publiés mais avaient perdu une grande partie de leur lectorat. Dans un premier temps, j’ai été surpris par la demande. Je n’étais pas du tout lecteur de Bob Morane et surtout, je ne suis pas actuellement (et à mon grand regret) considéré comme un auteur mainstream.
Ne sachant que répondre et plutôt que d’avoir des regrets en répondant “non” trop rapidement, j’ai demandé un peu de temps pour réfléchir à cette proposition. Je me suis penché sur l’oeuvre d’Henri Vernes et très vite m’est apparue une évidence : un aventurier traverse le monde et peut donc porter un regard passionnant sur ce qu’il voit, sur toute la géopolitique de son époque en se permettant en plus de mettre les mains dans le cambouis pour réparer certains torts.
Or, la compréhension du monde, de ce qui s’y passe, des bouleversements qui pointent le bout de leurs nez, qu’ils soient des grands bonds en avant ou une incapacité à se dégager des bêtises déjà commises dans le passé, tout cela me passionne et Bob Morane m’offrait un vecteur extraordinaire pour évoquer tous ces sujets de prospective fiction et d’en plus le faire de façon distrayante. Il fallait juste qu’on m’accorde le droit de transposer Morane à notre époque, voir dans un léger futur, pour que l’aventure devienne passionnante… ce que le Lombard a fait, convaincu, comme je le suis que certaines icônes n’ont de force que si précisément, elles sont les reflets et les témoins de leur temps.
A partir des personnages de Henri Vernes, en essayant de respecter le fond, j’ai donc recomposé une cosmologie, des parcours de vie qui expliquent tant l’implication des uns et des autres dans leur époque que leurs interactions, assez proches de celles qu’avaient les personnages sous la plume de leur créateur.
Bob Morane est désormais un jeune surdoué, élevé par sa tante après la mort de ses parents très impliqués dans le parti communiste français et international. Il est diplômé à 20 ans de l’Ecole des Mines, ingénieur, donc, qui plutôt que d’entrer dans le privé, décidé d’entrer dans l’armée pour faire bénéficier au plus grand nombre de son savoir. Mais son désir d’aider va se heurter aux réalités d’une société très individualiste. Il va aller de désillusions en désillusions, être trahi par ceux au service duquel il s’était mis, pour finalement reprendre sa liberté de pensée et de choix et devenir l’Aventurier. Un homme qui choisit lui même les causes qu’il veut défendre et qui s’attache à le faire quitte à y laisser sa vie.
Avec le recul, je me rends compte que j’ai utilisé tant Sherlock que Bob pour parler de notre époque. Sherlock vit dans l’Angleterre post-révolution industrielle, une époque pas si éloignée de la nôtre dans la façon extraordinairement brutale dont le capitalisme traite les gens. Alors que Bob va débroussailler pour nous les conséquences futures de ce même capitalisme. Une constante dans mon oeuvre si on y regarde de plus près. Et au final, deux héros qui m’inspirent et m’enthousiasment à égalité.
Bob Morane et Holmes sur les sites de leurs éditeurs.
Dans Genèse, un écrivain revient sur la création de son dernier livre. Auteurs, éditeurs, pour participer, vous pouvez me contacter: laurent@laurentqueyssi.fr